Plates-formes de génétique moléculaire des cancers : une médecine personnalisée, pour tous
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- Publié le mercredi 11 juin 2014 13:43
Sur le terrain

Donner un égal accès aux thérapies ciblées pour tous les patients français. Tel est l’objectif affiché par l’Institut national du cancer (Inca), qui présuppose notamment le profilage génétique de chaque tumeur. C’est dans ce but qu’un réseau national de 28 plates-formes de génétique moléculaire a été créé pour prendre en charge cette caractérisation moléculaire, depuis 2006*. Reportage sur la plate-forme parisienne de l’Institut Curie.
Quel que soit l’établissement où le patient atteint d’un cancer est pris en charge – hôpitaux, cliniques privés, etc. – dans l’Hexagone, il doit pouvoir accéder aux meilleures thérapies, même celles en cours de développement, ce qui nécessite d’optimiser leur ciblage, reposant aujourd’hui pour beaucoup sur les tests moléculaires. Et ce, sans contrepartie financière, pour le patient comme pour les établissements de santé.
Un maillage régional pour répondre aux besoins nationaux
Un maillage de 28 plates-formes de génétique moléculaire, réparties sur l’ensemble de l’Hexagone a été mis en place pour assurer les besoins nationaux en tests moléculaires, qu’ils soient diagnostiques, pronostiques, qu’ils permettent d’orienter la thérapie ou de suivre l’évolution de la maladie. « L’Inca a fait le choix pour la France du ciblage thérapeutique, très bénéfique pour les patients. Et cette révolution organisationnelle en plates-formes a permis d’améliorer le circuit de traitement des prélèvements et donc de diminuer le temps d’attente des résultats. Il permet aussi une harmonisation des pratiques au niveau national », estime Ivan Bièche, biologiste coordonnateur pour les tumeurs solides de l’adulte, de la plate-forme de l’Institut Curie. Située dans le 5e arrondissement de Paris, c’est l’une des trois plates-formes de génétique moléculaire des cancers de la région Île-de-France, aux côtés de celle de l’AP-HP et de l’Institut Gustave Roussy. Au sein de cette plate-forme, une trentaine de personnes contribue à y couvrir l’ensemble des tests biologiques et anatomopathologiques : techniciens, ingénieurs, biologistes et médecins. De plus en plus de patients bénéficient des tests moléculaires réalisés au sein des 28 plates-formes. « Chaque année, le nombre de nouveaux biomarqueurs et d’échantillons traités augmente de 20 % », confirme Ivan Bièche.
Shiva : Un essai clinique basé sur le profil biologique de la tumeur
Avec l’avènement des techniques à haut-débit,
qui a permis la caractérisation moléculaire fine
des tumeurs, on assiste à un changement de
paradigme en
oncologie : ne faudrait-il pas
cibler une tumeur en fonction de son profil
moléculaire plutôt que selon sa localisation ?
Lancé en septembre 2012, à l’Institut Curie,
Shiva est le premier essai clinique de phase II,
randomisé et multicentrique, à tester ce concept
en France. L’efficacité d’une thérapie ciblée
en fonction du profil moléculaire et celle d’un
traitement conventionnel (chimiothérapie
basée sur la localisation de la tumeur et son
évolution) seront comparées. L’essai, qui durera
trois ans, inclut au total 200 patients atteints
de cancers métastatiques et présentant une
anomalie génétique qui peut être ciblée par
une molécule dont l’utilisation clinique est
approuvée en France (par exemple, l’Erlotinib
contre des mutations de l’EGFR). Les patients
pourront changer de groupe en cas de rechute.
« Le profil moléculaire du cancer est déterminé,
sur une biopsie ou un résection d’une
métastase, par séquençage haut-débit »,
précise Ivan Bièche. L’analyse rétrospective
des données devrait permettre d’identifier
des biomarqueurs prédictifs de l’efficacité
et/ou de la résistance à la dizaine de molécules
testées dans l’essai. Autre élément qui
sera testé, grâce aux prélèvements sanguins
réalisés chez les patients : l’aspect prédictif
de l’ADN tumoral circulant sur l’efficacité
du traitement.
Source : Le Tourneau C et al. Designs and challenges for
personalized medicine studies in oncology: focus on the
SHIVA trial. Target Oncol. 2012;7(4):253-65.
Une tendance qui devrait encore s’amplifier dans les années à venir, le troisième Un maillage de 28 plates-formes de génétique moléculaire, réparties sur l’ensemble de l’Hexagone a été mis en place pour assurer les besoins nationaux en tests moléculaires, qu’ils soient diagnostiques, pronostiques, qu’ils permettent d’orienter la thérapie ou de suivre l’évolution de la maladie. « L’Inca a fait le choix pour la France du ciblage thérapeutique, très bénéfique pour les patients. Et cette révolution organisationnelle en plates-formes a permis d’améliorer le circuit de traitement des prélèvements et donc de diminuer le temps d’attente des résultats. Il permet aussi une harmonisation des pratiques au niveau national », estime Ivan Bièche, biologiste coordonnateur pour les tumeurs solides de l’adulte, de la plate-forme de l’Institut Curie. Située dans le 5e arrondissement de Paris, c’est l’une des trois plates-formes de génétique moléculaire des cancers de la région Île-de-France, aux côtés de celle de l’AP-HP et de l’Institut Gustave Roussy. Au sein de cette plate-forme, une trentaine de personnes contribue à y couvrir l’ensemble des tests biologiques et anatomopathologiques : techniciens, ingénieurs, biologistes et médecins. De plus en plus de patients bénéficient des tests moléculaires réalisés au sein des 28 plates-formes. « Chaque année, le nombre de nouveaux biomarqueurs et d’échantillons traités augmente de 20 % », confirme Ivan Bièche. Une tendance qui devrait encore s’amplifier dans les années à venir, le troisième
Outre le bénéfice apporté aux patients, le ciblage s’avère une option globalement économique pour l’Assurance maladie, car elle permet de rationaliser l’emploi de traitements coûteux. « Même si la recherche de biomarqueurs coûte en moyenne quelques centaines d’euros par patient, elle permet de réduire le nombre de prises en charge inadaptées, dont les coûts sont plutôt de l’ordre de dizaines de milliers d’euros par an chacune », assure Ivan Bièche. Ce regroupement en nombre limité de plates-formes est aussi un gage de qualité et d’une meilleure expertise dans les tests moléculaires, qui se basent sur de petits volumes d’échantillons et nécessitent donc une pratique régulière.
La répartition des échantillons est essentiellement régionale, afin d’assurer une analyse rapide qui conditionnera l’organisation du parcours thérapeutique. « Nous nous devons donc d’être réactifs, pour les patients et leur oncologue, insiste Ivan Bièche. Il faut compter une dizaine de jours entre l’arrivée du prélèvement sur notre site et la remise au praticien du compte rendu, dans lequel sont synthétisés les résultats des analyses moléculaires et d’anatomopathologie, et leur interprétation. »
L’anatomopathologie, en première ligne pour les tumeurs solides
C’est au service d’anatomopathologie qu’arrivent les prélèvements solides, soit sous forme de pièces opératoires, soit sous-forme de biopsies. Ils proviennent de l’hôpital en interne, mais aussi des hôpitaux et cliniques privés, localisés dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la région parisienne. Des coupes en paraffine sont alors réalisées.

« À l’heure actuelle, nous recevons essentiellement des échantillons de tumeurs du poumon, du côlon, et de mélanomes, trois types de tissus pour lesquels la recherche de biomarqueurs moléculaires est systématique, constate Lamia Ouafi, du service de pathologie de l’Institut Curie. Mais les prélèvements tendent à se diversifier de plus en plus. » « Nous sommes chargés de poser – ou de confirmer – le diagnostic, via une lame HES [coloration à l’Hématéine-Eosine-Safran], détaille l’anatomopathologiste. Cette lame nous permet ensuite d’évaluer la cellularité tumorale, un paramètre inclus dans le compte-rendu délivré au clinicien. » L’étude de la cellularité permet également de préparer le travail du service de génétique, qui prend en charge la suite de l’analyse. « Je sélectionne au microscope les zones riches en cellules tumorales sur les six autres coupes afin que les biologistes puissent récupérer par grattage le maximum d’ADN tumoral, d’intérêt », précise-t-elle. Dans le cas des cancers du sein, l’analyse est intégralement réalisée par l’anatomopathologiste, par technique d’immunohistochimie et de FISH. « Elle permet de déterminer si le gène HER2 (également appelé ERBB2) est amplifié, et donc si la patiente bénéficiera d’un traitement par trastuzumab »,indique Lamia Ouafi. « Pour les cancers du poumon, quand les tests moléculaires ont révélé l’absence de mutations pour les gènes EGFR et KRAS, c’est le service d’anatomopathologie qui reprend la main sur l’analyse, précise l’anatomopathologiste. Nous testons alors systématiquement la translocation du gène ALK, subventionnée par l’Inca, et à la demande de l’oncologue, celles de ROS et MET qui ne sont pas encore intégrées en routine. Ces deux translocations (ALK et ROS1) et amplification (MET) sont des indications à un traitement par Crizotinib (programme AcSé). »
Les services de pathologie et de génétique, situés dans les mêmes locaux à l’Institut Curie, sont en interactions permanentes. « Et nous sommes aussi fréquemment en contact avec les cliniciens et pathologistes, par téléphone ou mail quand l’échantillon provient de l’extérieur », assure-t-elle.
Des techniques en évolution
Côté génétique moléculaire, ce sont les techniques de PCR classique et quantitative qui sont souvent utilisées en routine afin de détecter des réarrangements chromosomiques, des mutations ponctuelles ou des modifications d’expression de gènes. Face à un profil atypique en PCR, les échantillons sont alors passés au séquenceur capillaire (méthode de Sanger) pour pleinement caractériser l’anomalie.
« Afin d’éviter les contaminations, nous utilisons des pièces séparées pour les échantillons d’ADN, d’ARN et les produits d’amplification », détaille Gaëlle Pierron, biologiste sur la plateforme. Les plates-formes participent également aux contrôles qualité mis en place depuis 2008 au niveau national afin d’améliorer les pratiques, contribuer à leur harmonisation et à leur standardisation. À noter que pour les plates-formes de génétique moléculaire aussi, l’accréditation selon la norme ISO 15189 sera, à terme, obligatoire.
Le séquençage ciblé par la méthode de Sanger est parfois utilisé pour analyser quelques gènes. Mais les techniques évoluent très rapidement. « En 2005, il y a avait un marqueur par type de cancer, témoigne Ivan Bièche. Très bientôt, nous en serons à une cinquantaine de marqueurs par cancer. » Avec l’augmentation du nombre d’anomalies moléculaires à cribler pour un même patient, le recours à des approches plus globales, via des technologies à haut débit, se généralise actuellement. « On cherche de plus en plus à s’affranchir de la méthode de Sanger qui requiert une grande quantité d’ADN au regard de ce que peuvent nous fournir les prélèvements », explicite le biologiste.
À Curie, comme dans les autres plates-formes, les biologistes implémentent donc des techniques de séquençage nouvelle génération (NGS pour Next-Generation Sequencing). Ces techniques, encore onéreuses, (de quelques centaines à quelques milliers d’euros par tumeur) restent pour l’instant à but exploratoire, pour déterminer de nouveaux biomarqueurs d’intérêt, dans le cadre de la recherche translationnelle. Mais leur coût baisse rapidement, et elles pourront à très court terme permettre de répondre au nombre croissant de biomarqueurs d’intérêt à tester pour chaque tumeur.
Par exemple, le développement du séquençage complet du génome tumoral devrait commencer à être déployé dans les prochaines années, selon l’Inca. « Des techniques qui diminueront le temps de manipulation, mais qui augmenteront probablement celui de l’analyse bioinformatique des résultats », prédit Ivan Bièche. Si les plateformes ont dans leur mission principale une fonction sanitaire, elles sont néanmoins en interaction étroite avec des laboratoires de recherche fondamentale. « Nous fonctionnons en partenariat avec une unité de recherche, dirigée par Olivier Delattre, qui s’intéresse aux aspects de recherche fondamentale et aux modèles animaux, témoigne Céline Callens, biologiste de la platesforme de Curie. De notre côté, nous gérons les aspects diagnostiques et de recherche clinique translationnelle. »
Le personnel de la plateforme est impliqué dans de nombreux programmes de recherche et essais cliniques : le programme AcSé Crizotinib , le programme Shiva, pour n’en citer que quelques-uns.