Autotests : pertinence médicale et limites

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Alors que l'Académie nationale de pharmacie s'est prononcée en faveur de la réalisation de trois autotests en pharmacie et en a déconseillé cinq autres, dans un rapport diffusé le 12 février, les syndicats de biologistes s’inquiètent de la prolifération des autotests, qui pourraient mettre en danger le patient et avoir un impact négatif en termes de santé publique.

Par Steven DIAI, publié le 19 février 2018

Autotests : pertinence médicale et limites

Depuis quelques années, toutes les autorités sanitaires et politiques prônent l’implication croissante du malade dans sa pathologie, mais aussi une prise de conscience de l’ensemble de la population en ce qui concerne sa santé. Ainsi, en biologie médicale, cette évolution de la m-santé se traduit par l’apparition de nombreux dispositifs de mesure ou de détection mis à la disposition des professionnels de santé, tels que les tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) qui entraînent de nouvelles pratiques. Mais cette évolution s’étend aussi aux usagers ou à leur entourage via les autotests accessibles par différents canaux, dont les pharmacies d’officine.

Les principaux autotests utilisés en France sont les suivants : test de grossesse, tests d’ovulation, autosurveillance glycémique, « bandelettes » urinaires, éthylotests, INR, VIH. Ces tests, relèvent en général du monopole pharmaceutique et ne peuvent être vendus qu’en pharmacie, à l’exception des tests de grossesse, d’ovulation (hors pharmacies d’officine), et des tests de détection des maladies infectieuses transmissibles (centres sanitaires). Seuls certains d’entre eux sont remboursés par l’Assurance Maladie.

Une démarche commerciale récente de quelques laboratoires propose au public une gamme de tests, délivrée par le circuit officinal, sans prescription médicale. Ces tests sont présentés comme devant permettre aux usagers de dépister certaines pathologies à domicile, en seulement quelques minutes. Leur prix de vente TTC, en 2017, variait de 8 € à 30 €, voire 40 € pour le test de fertilité masculine. De plus, l’offre des autotests s’est accrue ces dernières années. Au-delà des tests de grossesse ou de glycémie, des autotests de dépistage du VIH sont apparus, ainsi que d’autres autotests censés dépister de nombreuses pathologies (cholestérol, carence en fer, cancer de la prostate, ménopause, allergies, cancer colorectal, infection des voies urinaires,etc.). Ce développement rapide et peu régulé survient tandis que les examens de biologie délocalisée sont par ailleurs soumis à des contraintes de qualité et à des contrôles de plus en plus sévères, dans l’intérêt de la santé publique.

Dans un communiqué commun émis le 13 février, la Fédération nationale des syndicats de praticiens biologistes hospitaliers et hospitalo-universitaires (FNSPBHU), le Syndicat national des biologistes des hôpitaux (SNBH), le Syndicat national des médecins et biologistes des CHU (SNMBCHU), le Syndicat des Jeunes biologistes médicaux (SJBM), la Fédération Nationale des Syndicats d’internes en Pharmacie et en Biologie Médicale (FNSIP-BM) et le Syndicat des Laboratoires de Biologie Clinique (SLBC) ont mis en garde les professionnels de santé contre « le développement rapide de ces technologies dans un contexte de flou juridique et en l’absences d’études scientifiques satisfaisantes. »

Les syndicats de biologistes rappellent que « Cette prolifération [des autotests] sans contrôle fiable ni information suffisante du grand public, n’est pas acceptable dans un contexte où l’on met en avant la transparence auprès du patient […] et où l’on demande aux laboratoires de biologie médicale d’obtenir une accréditation sur 100 % des examens de biologie médicale. »

De son côté, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a rappelé, dans un point d’information intitulé « Recommandations pour le bon usage des autotests vendus en pharmacie », que si les autotests sont utiles pour « accompagner le patient dans la prise en charge de sa maladie ou de lui donner une orientation sur un état physiologique ou pathologique », ils ne remplacent pas pour autant les examens de biologie médicale. L’Instance en appelle donc à la vigilance « sur les résultats obtenus » qui nécessitent « d’être confirmés par des examens de biologie médicale » et soulignent que « des précautions d’usage » sont à adopter avec ces dispositifs.

Dans son rapport intitulé « Autotests-TROD : rôle du pharmacien d’officine », l’Académie nationale de pharmacie a également souligné « qu’un autotest n’apporte qu’une orientation diagnostique et pas un diagnostic comme peut le faire un examen de biologie médicale. »

Les autotests et pertinence médicale

Assimilés à des dispositifs in vitro régis par la directive européenne 98/79/CE transposée par l’ordonnance n°2001-198 du 1er mars 2001, les autotests mis à disposition du patient en pharmacie, sont soumis à un simple marquage CE. Il s’agit d’un test, recueil ou traitement de signal biologique utilisé par l’usager ou son entourage et pour son seul usage, qui ne constitue ni un TROD (Test rapide d’orientation diagnostique réalisé sous la responsabilité du professionnel de santé qui l’effectue), ni un examen de biologie médicale.

L’Académie nationale de pharmacie s’est penchée sur la question de la pertinence clinique de ces autotests dont l’offre s’est accrue ces dernières années, et a évalué 13 autotests parmi les plus vendus en officine. Elle les a alors classés en trois catégories : autotests utiles, autotests à valider et autotests à éviter. Les trois autotests jugés utiles en officine, selon l’Académie de pharmacie sont ceux détectant le VIH, l’infection urinaire et les anticorps antitétaniques pour connaître le statut vaccinal de l’usager. Les cinq autotests classés dans la catégorie « à valider » par cette même instance, sont ceux du cholestérol, de la carence martiale, de l’hypothyroïdie, de la ménopause et de l’ovulation. Enfin, ceux « à éviter » sont les autotests du dosage du PSA dans le cancer de la prostate, la recherche d’anticorps anti-H. pylori, le dosage d’IgE totales dans l’allergie, le dépistage du cancer colorectal, et la recherche d’anticorps anti-Borrelia dans la maladie de Lyme.

Autotests, limites et dangers

Selon Liliane Grangeot-Keros, secrétaire perpétuelle adjointe de l’Académie, « la vente d’autotests VIH en officine constitue une offre supplémentaire par rapport à ce que proposent les biologistes et les associations, car en cas de résultat positif, il devra être confirmé par un examen de biologie médicale »

De leur côté, si les syndicats de biologistes conçoivent que ces autotests peuvent être pertinents dans le cas de dispositifs de suivi ou d’autosurveillance thérapeutique (mesure de l’INR), ou pour des retards de diagnostic (autotest de détection de l’angine streptooccique), ils appellent par ailleurs les pharmaciens à une « diffusion limitée [de l’ensemble des autotests] pour ne pas risquer de rassurer un patient à tort et de passer à côté d’une réelle pathologie, ou de sur-diagnostiquer des pathologies avec un traitement inadapté. »

Ils rappellent que « La sensibilité et la spécificité des autotests n’ont jamais été réalisées de manière fiable et indépendante, alors que c’est précisément là que réside leur faiblesse » et soulignent que certains de ces autotests sont jugés « moins fiables que les tests Elisa de 4ème génération réalisés dans un LBM ». Ils évoquent notamment, dans le cadre des autotests de dépistage du VIH, « des résultats faussement négatifs retrouvés chez des patients séropositifs avec infection récente » et insistent sur le fait qu’un résultat faussement négatif obtenu par un autotest est « catastrophique en termes de santé publique car le patient pense à tort ne pas être contaminé et qu’il risque de disséminer l’infection auprès de futurs partenaires. » De même, un résultat faussement positif pourrait provoquer chez ces patients des « réactions disproportionnées ». Le Pr Jean-Christophe Plantier du CHU de Rouen avait, par ailleurs appelé les professionnels de santé à la vigilance, lors de son intervention au congrès RICAÏ 2017, portant sur l’évaluation de 9 autotests/TROD du VIH. Il notait alors que parmi les autotests vendus en officine, « les performances étaient variables pour la détection des infections récentes ou primo-infections », que « la sensibilité pour la détection de VIH-1/0 et/ou celle de VIH-2 était mauvaise sur certains tests » et qu’il existait « des réactivités croisées pour VIH-1 et 2 dans certains autotests ». Il avait également dénoncé « la loterie » dans l’offre pléthorique disponible sur Internet, certains autotests n’étant même pas marqués CE. Il constatait « une très mauvaise détection des variants, […] aucun service associé à l’autotest, […] pas d’aide téléphonique, […] des notices très succinctes quand elles existent, […] des frais de livraison, […] et pas de recours en cas de non livraison ».

Dans leur communiqué du 13 février, les biologistes s’inquiètent « de voir proliférer ces autotests dans les pharmacies d’officine, » […]qui favorise la mise en place « d’une médecine à plusieurs vitesses », les personnes en situation de précarité n’ayant pas les moyens de s’offrir des autotests. Ils dénoncent également le coût supérieur de certains autotests vendus en pharmacie par rapport aux examens réalisés au laboratoire.

Autotests : les propositions des biologistes

Alors que les académiciens, tels que Martial Fraysse, président du Conseil de l’Ordre des pharmaciens d’Île-de-France, soulignent le besoin de collaboration et de coordination entre professionnels au sujet des autotests, pour qu’ils ne soient pas « un pointillé de plus dans le parcours de soin », les syndicats de biologistes estiment qu’ils sont les seuls habilités « pour pouvoir vérifier la conformité du résultat des autotests avec une technique de référence dans [leur] LBM ».

Les biologistes souhaitent donc « promouvoir des actions de dépistage massives au sein de [leurs] laboratoires implantés sur l’ensemble du territoire français. » Il rappellent à ce titre que les patients peuvent se faire dépister « sans ordonnance, dans un laboratoire accrédité, pour un résultat plus performant et un coût moindre. »

Soulignant le fin maillage de laboratoires de biologie médicale en France, les syndicats de biologistes émettent donc trois propositions à destination des instances de la Santé :

– Évaluer les performances et l’impact sanitaire de chaque autotest.

– Sécuriser le diagnostic par autotests en imposant le contrôle régulier des dispositifs selon des modalités définies avec les représentants de la profession et une accréditation équivalente à celle imposée aux biologistes médicaux. Le contrôle initial et la concordance avec les techniques de référence doivent être réalisés par les biologistes médicaux avec une indemnisation provenant par exemple du fond national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire (FNPEIS).

– Améliorer le dépistage et l’accès par les patients à des soins de qualité grâce à une dispensation et une interprétation des auto-tests ayant démontré une utilité, directement au laboratoire de biologie médicale en lieu et place de la pharmacie d’officine.

La rédaction