L’hépatite E, une infection virale encore méconnue dans les régions non endémiques

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La compréhension de l’épidémiologie de l’hépatite E a complètement changé au cours des dix dernières années. Petit rappel des caractéristiques de ce virus avec le Pr Jacques Izopet, du Laboratoire de Virologie, et de l’Institut Fédératif de Biologie, au CHU de Toulouse, lors d’une séance officielle à l’Académie de Médecine de Paris.

Par Steven DIAI, publié le 01 juin 2017

L’hépatite E,  une infection virale encore méconnue dans les régions non endémiques

L’agent causal de l’hépatite E est un virus à transmission entérique découvert il y a plus de 30 ans par microscopie électronique [1]. On a pensé pendant longtemps que la circulation du virus de l’hépatite E (VHE) était restreinte aux pays en développement où surviennent régulièrement de larges épidémies à transmission hydrique. Les progrès récents réalisés dans les méthodes virologiques de diagnostic ont révélé que ce virus était largement répandu dans de nombreux pays industrialisés en raison d’une transmission zoonotique.

Plusieurs génotypes présentant des caractères épidémiologiques distincts ont été identifiés. Les génotypes 1 et 2, prédominant dans les pays en développement, sont strictement humains alors que les génotypes 3 et 4, prédominant dans les pays industrialisés, circulent chez l’homme et différentes espèces animales notamment le porc, le sanglier, les cervidés et le lapin.

CARACTERISTIQUES DU VHE

La particule virale

Le VHE est un petit virus nu (diamètre 27-34 mm) possédant une capside icosaédrique et un génome à ARN. La densité des particules virales présentes dans le sang des individus infectés est plus faible que dans les selles en raison d’une membrane lipidique entourant la nucléocapside. Cette particularité, décrite également pour le virus de l’hépatite A, a conduit à proposer le concept de virus quasi-enveloppé [2]. La membrane lipidique protège le virus contre les anticorps neutralisants et pourrait constituer un déterminant essentiel du tropisme tissulaire.

Le génome et les protéines

Le génome du VHE est un ARN simple brin à polarité positive [3]. L’extrémité 5’ de l’ARN comporte une coiffe 5’-méthylguanine et l’extrémité 3’ est polyadénylée. La partie centrale du génome comporte 3 cadres ouverts de lecture (ORF1, ORF2 et ORF3). Au sein d’ORF1, codant plusieurs protéines non structurales dont la polymérase, un quatrième cadre ouvert de lecture (ORF4) a été récemment caractérisé pour le génotype 1 du VHE [4]. La protéine ORF4, synthétisée dans des conditions de stress du réticulum endoplasmique, interagit avec la polymérase virale et favorise la réplication. ORF2 code la protéine de capside et ORF3 code une petite protéine impliquée dans la morphogénèse et la libération des virions. Cette protéine est présente à la surface des particules en association avec des lipides.

Taxonomie

Le VHE est classé dans la famille des Hepeviridae comportant 2 genres : le genre Orthohepevirus rassemblant 4 espèces, trois infectant les mammifères (Orthohepevirus A, C, et D) et une les oiseaux (Orthohepevirus B), et le genre Piscihepevirus ayant pour représentant un virus de la truite. Seule l’espèce Orthohepevirus A, comportant actuellement 7 génotypes, a été associée à des cas humains. Alors que VHE-1 et VHE-2 infectent uniquement l’homme, VHE-3 et VHE-4 infectent également le porc, le sanglier, les cervidés et le lapin. Les autres génotypes sont plus rares et infectent le sanglier (VHE-5, VHE-6) et le chameau (VHE-7). Des sous-génotypes ont également été identifiés. Leur dénomination s’effectue par comparaison avec des séquences de référence [5]. En France, les génotypes 3f et 3c sont les plus fréquents chez l’homme et une évolution de leur distribution dans le temps a été observée, probablement en lien avec la circulation de ces génotypes dans le réservoir porcin [6].

LES OUTILS DIAGNOSTIQUES

Les tests sérologiques permettent la mise en évidence des anticorps dirigés contre le VHE. Les IgM anti-VHE sont les marqueurs clefs d’une infection aiguë alors que les IgG anti-VHE sont les marqueurs d’une infection ancienne. L’amélioration de la sensibilité des tests IgG anti-VHE, présentant par ailleurs une très bonne spécificité, a montré une large exposition de la population humaine au VHE dans les pays en développement mais aussi dans la plus plupart des pays industrialisés. Le diagnostic direct repose sur la mise en évidence du génome viral par amplification génique (Polymerase Chain Reaction ou Transcription Mediated Assay) ou de la protéine de capside par immunoanalyse. Le séquençage génomique est essentiel pour l’épidémiologie moléculaire et pour tracer l’origine d’une infection humaine.

EPIDEMIOLOGIE DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT

VHE-1 et VHE-2 sont des pathogènes strictement humains responsables d’épidémies et de cas sporadiques dans les pays en développement. La transmission s’effectue essentiellement par voie hydrique en raison de la faiblesse des infrastructures sanitaires.

VHE-1 est endémique dans de nombreuses régions d’Asie et d’Afrique où il a été retrouvé dans des camps de réfugiés au Soudan, au Tchad et en Ouganda. VHE-2 est présent au Mexique ainsi que dans certains pays d’Afrique. Les épidémies dans les pays en développement sont plus fréquentes lors de la saison des pluies. Dans ces pays, le VHE peut se transmettre de la mère à l’enfant, en particulier lorsque l’infection survient au 3ème trimestre de la grossesse. Celle-ci est associée à une mortalité élevée chez la mère (environ 20 %) et chez l’enfant [7]. La séroprévalence augmente avec l’âge et atteint des valeurs supérieures à 50 % chez l’adulte. Les données de 9 pays endémiques ont permis d’estimer la survenue chaque année de 3,4 millions de cas d’hépatites E aiguës symptomatiques incluant 70 000 décès et 3000 avortements [7].

EPIDEMIOLOGIE DANS LES PAYS INDUSTRIALISES

Pendant plus de 20 ans, on a pensé que les hépatites E observées dans les pays industrialisés étaient des cas importés survenant chez des voyageurs de retour d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine. Dans la majorité des cas, il s’agit en fait d’hépatites autochtones impliquant VHE-3 et VHE-4 transmis à partir d’un large réservoir animal. VHE-3 est prédominant dans la plupart des pays industrialisés alors que VHE-4 est prédominant en Asie. VHE-7 infecte le chameau et une transmission à l’homme a été récemment décrite.

Le principal réservoir du VHE est le porc chez qui l’infection, le plus souvent asymptomatique, conduit à une multiplication dans le foie et à une forte excrétion dans la bile et les fèces.

La transmission zoonotique du VHE dans les pays industrialisés s’effectue par contact direct avec les animaux infectés, par la consommation de viande crue ou insuffisamment cuite d’animaux contaminés, ou par l’intermédiaire de l’environnement. En effet, le VHE a été détecté dans des eaux usées, dans des eaux de rivière, sur des fruits rouges, des salades et des fruits de mer (moules, huitres).

Les études récentes sur des populations de donneurs de sang, réalisées avec le même test sérologique dont les performances analytiques en termes de sensibilité et spécificité ont été validées, indiquent des chiffres de séroprévalence des IgG anti-VHE supérieurs à 20 % pour des pays comme la France (22 %), l’Allemagne (29 %) et les Pays-Bas (21 %). La séroprévalence est de 16 % au Royaume-Uni. L’augmentation de la séroprévalence avec l’âge témoigne d’une exposition cumulative au virus. Cependant, au sein d’un même pays, une hétérogénéité régionale a été observée. En France, la prévalence des IgG anti-VHE varie entre 8 % et 86 % selon les départements, les chiffres les plus élevés étant retrouvés dans le Sud-Ouest, Sud-Est et Nord-Est [8] (Figure). Au sein de la région Occitanie, l’Ariège et l’Aude présentent une séroprévalence particulièrement élevée (> 60 %) pour des raisons encore inexpliquées [9]. Les habitudes culinaires mais aussi la qualité de l’eau de boisson pourraient être impliquées [8, 9].

L’incidence annuelle de l’infection par le VHE a été estimée à 0,2 % au Royaume-Uni, 0,7 % aux Etats-Unis, 1,1 % aux Pays-Bas et 2 à 3 % dans le Sud-Ouest de la France [3]. Si le nombre des hépatites E symptomatiques rapportées en France par le Centre National de Référence est d’environ 2300 cas/an, le nombre annuel d’infections par le VHE est probablement supérieur à 100 000.

TRANSMISSION PARENTERALE DU VHE

La transmission du VHE par transfusion a été documentée au Japon, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Tous les produits sanguins labiles ont été impliqués : plasma thérapeutique (traité par solvant/détergent, traité par amotosalène, ou sécurisé par quarantaine), concentrés de globules rouges, concentrés de plaquettes. Une analyse rétrospective conduite au Royaume-Uni a montré que 42 % des receveurs de produits contaminés par le VHE ont été infectés et que les patients immunodéprimés pouvaient développer une infection chronique [10]. La fréquence de détection de l’ARN du VHE chez les donneurs de sang varie entre 1/700 et 1/2500 dans des pays comme la France, l’Allemagne et les Pays-Bas [11, 12], et entre 1/2500 et 1/14 000 dans des pays comme le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Australie. Les données disponibles dans la littérature indiquent que la dose minimale infectieuse serait d’environ 7 000 UI [13]. Cette information est cruciale pour des analyses de risque et pour tester la capacité des étapes de fabrication des médicaments dérivés du sang à inactiver et/ou éliminer le VHE.

Pour les produits sanguins labiles, différentes stratégies allant du dépistage génomique systématique (en unitaire ou sur mélanges) au dépistage ciblé des donneurs dont les produits sanguins sont destinés à des receveurs à risque de formes sévères d’hépatite E (en particulier immunodéprimés) sont en cours d’évaluation. En France, un dépistage ciblé a été mis en place pour le plasma thérapeutique depuis 2013. Les politiques retenues dans les différents pays seront probablement influencées par les données épidémiologiques et les aspects économiques à l’échelon national. Une étude récente conduite au CHU de Toulouse chez 60 transplantés d’organes ayant présenté une hépatite E aiguë a montré que la contribution de la transmission transfusionnelle était d’environ 5 % [14].

Deux cas de transmission par le greffon ont été rapportés dans la littérature [15, 16].

CONCLUSION

Des tests sérologiques et moléculaires performants ont révélé l’endémie du virus dans les pays industrialisés et le caractère zoonotique de la transmission. Si la transmission entérique représente la voie majeure de contamination humaine le risque de transmission transfusionnelle ne peut être considéré comme négligeable. Des stratégies adéquates de prévention doivent être mises en œuvre.

REFERENCES

[1] Balayan MS, Andjaparidze AG, Savinskaya SS, Ketiladze ES, Braginsky DM, Savinov AP, et al. Evidence for a virus in non-A, non-B hepatitis transmitted via the fecal-oral route. Intervirology 1983;20(1):23-31.

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Pr Jacques Izopet à l’Académie de Médecine de Paris

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