Les laboratoires en première ligne dans l’alerte et le signalement
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- Publié le mardi 20 mai 2014 13:54

Infections nosocomiales, maladies à déclaration obligatoire, à signalement urgent, les biologistes sont les premiers à mettre en évidence et à identifier ces pathologies et sont de plus en plus impliqués dans l’alerte et le signalement, en interne et/ou à l’extérieur. Des démarches parfois subtiles sur le plan procédural, pesantes en termes de responsabilité et complexes sur le plan technique.
Il y a les maladies à déclaration obligatoire, d’une part, et les infections nosocomiales, d’autre part. Un système de surveillance d’un côté et un système de signalement de l’autre. Une démarche très ancienne pour l’un, plus récente pour l’autre. Comment s’y retrouver ?
Les maladies à déclaration obligatoire
« Font l’objet d’une déclaration obligatoire ou plutôt selon les textes d’une “transmission obligatoire de données individuelles”, les maladies qui nécessitent une intervention urgente et celles dont la surveillance est nécessaire », explique Vincent Jarlier, chef du service de Bactériologie et Hygiène hospitalière à la Pitié- Salpêtrière, à Paris. Déjà deux cas de figure et donc deux procédures. Trente-et-une maladies font l’objet d’une telle déclaration obligatoire, depuis que la rougeole s’y est ajoutée en 2005. L’appartenance des maladies à cette liste répond à des critères de fond :
- les infections qui justifient des mesures exceptionnelles à l’échelle internationale, que le ministère de la Santé doit déclarer à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour faire simple, « la peste et le choléra », résume le Pr Jarlier ;
- celles qui nécessitent une intervention urgente au niveau local, ou des mesures préventives ou correctives : les toxiinfections alimentaires collectives (Tiac) ou les légionnelloses ;
- celles qui font l’objet de programmes de prévention (VIH), de vaccination (tétanos), qui peuvent ainsi être évaluées ;
- celles dont on veut suivre la morbidité, la létalité, les séquelles (sida, légionelllose) ;
- et certaines, pour lesquelles on a un fort besoin de connaissances (Creutzfeldt-Jacob).
Certaines maladies à signalement urgent
Le signalement concerne quant à lui les maladies qui justifient une intervention urgente, donc toutes les maladies à déclaration obligatoire à l’exception du VIH/sida, de l’hépatite B aiguë et du tétanos. Il doit alors être fait sans délai, et adressé à l’ARS du lieu d’exercice. Et là, pas de support dédié : « tous les moyens sont bons », insiste Vincent Jarlier. Le biologiste fait remarquer que les Tiac, bien que nombreuses, semblent sous-déclarées.
Chapitre délicat pour le biologiste : l’information du patient. En effet, elle revient en général au médecin, mais il faut rappeler qu’elle est nécessaire pour toute déclaration, en respect de la loi Informatique et libertés.
Douze ans de signalement d’infections nosocomiales
En matière d’infections nosocomiales, Bruno Coignard, de l’Institut
de veille sanitaire, rappelle qu’il y a un avant et un après l’affaire
de la clinique du sport : « C’est pour ça qu’on a un système de
signalement aujourd’hui en France ». Un dispositif mis en place
en 2001 par décret (articles L1413-14 et R 6111-12 à 17 du Code de la
Santé Publique), qui concerne tous les établissements, publics comme
privés. Douze ans de recul permettent donc d’en tirer un bilan éclairé.
Le signalement doit être adressé au Centre de coordination et de lutte
contre les infections nosocomiales (CClin) et à son antenne régionale
(Arlin) ainsi qu’à l’Agence régionale de santé (ARS).
À ceux qui l’auraient oublié, Bruno Coignard rappelle la contribution
du signalement des infections nosocomiales à la sécurité sanitaire en
France, avec l’exemple d’une investigation remarquable : Enterobacter
sakazakii en 2004 : « Tout est parti de seulement deux signalements
en une semaine de méningites très graves chez des nouveau-nés,
dont un décès. Ce germe très inhabituel a attiré l’attention et
donné lieu à un gros travail d’investigation : recherche d’autres
cas similaires, confirmation microbiologique et comparaison des
souches. » L’hypothèse d’une source commune a pu être vérifiée et un
produit contaminé identifié. Il s’agissait d’un complément alimentaire
(Pregestimil).
Sur l’année 2012, il a établi un « top 15 » des microorganismes signalés, au premier rang desquels arrivent les entérobactéries, notamment celles résistantes aux carbapénèmes, « au moins une résistance phénotypique, qui ne correspond pas toujours à une entérobactérie productrice de carbapénémase (EPC) mais nous permet de suivre leur progression », précise le spécialiste. « La forte proportion d’Acinetobacter résistants à l’imipénème (Abri) traduit aussi les préoccupations des soignants concernant les bactéries multirésistantes (BMR) », relève-t-il encore.
Après douze années, on compte aujourd’hui entre 1 500 et 1 600 signalements par an au niveau national, dont une majorité (40 %) pour le seul critère 1A, qui concerne les infections nosocomiales ayant un caractère rare ou particulier du fait de la nature de l’agent pathogène en cause, en particulier lorsqu’il s’agit de bactéries résistantes aux antibiotiques.
Identifier les carbapénémases sans biologie moléculaire ?
Signaler, certes, mais encore faut-il avoir les matériels et méthodes de détection et d’identification adéquats, notamment pour les BMR. À ce titre, Marie-Hélène Nicolas-Chanoine, de l’hôpital Beaujon, à Clichy, s’intéresse de près à l’un des sujets de préoccupation majeure : la détection des résistances aux carbapénèmes par carbapénémases, par des outils phénotypiques. « Tout le monde n’aura pas la biologie moléculaire dans les prochaines années, il faut donc continuer à développer des tests phénotypiques », souligne-t-elle.
Une vaste enquête est en cours par les réseaux de l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (Onerba), dont le Dr Nicolas-Chanoine livre des résultats préliminaires : « Le Centre national de référence de la résistance aux antibiotiques est en train de développer un test capable de mettre en évidence la présence de carbapénémase dans des bactéries résistantes aux carbapénèmes, basée sur l’hydrolyse d’un carbapénème tel que l’imipénème. D’autres travaux portent sur la spectrométrie de masse, pour détecter des produits de dégradation de carbapénèmes mis en contact avec la bactérie. Nous sommes sur la bonne voie, assure-t-elle, mais rien n’est encore commercialisé. »
Mais la biologiste alerte aussi sur l’apparition de nouvelles carbapénémases dans des espèces cliniques (Serratia, enterobacter cloacae), et en particulier SME-1 et SMB-1. « Il faut voir que concernant SMB-1, on a de forts arguments pour penser qu’elle dérive de bêtalactamases de bactéries non cultivables », s’inquiète le Dr Nicolas-Chanoine. Sans compter sa crainte que « tout ça passe dans E. coli » !
En conclusion, Bruno Coignard relève que « si le critère 1A est prédominant dans les signalements, c’est parce que tout le monde est en veille sur ce sujet, mais il ne faut pas croire que les infections nosocomiales ne sont dues qu’aux BMR. Pour le malade, les souches sensibles peuvent aussi être à l’origine d’infections graves ! ». Il encourage donc les professionnels à « conserver leur fonction d’alerte, à penser à l’inhabituel » et insiste sur l’importance de « bien connaître la situation de son établissement ou de ses flux de patients », citant l’exemple pour les EPC d’établissements proches de certaines frontières avec des pays où ces bactéries sont de plus en plus fréquentes. Il conclut toutefois en relativisant ce risque lié aux BMR importées, car un lien avec l’étranger est de moins en moins retrouvé pour les EPC, ce qui traduit l’existence d’une diffusion de ces bactéries au niveau national. La clé de leur contrôle repose donc d’autant plus sur leur détection et sur l’alerte fournie par les laboratoires.
RÉFÉRENCES
[1] Voir la liste complète et les fiches de notification sur le site de l’InVS : www.invs.sante.fr/
Espace-professionnels/Maladies-a-declaration-obligatoire.
[2] Au nombre de 47, leur liste est disponible sur le site de l’InVS.
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