Les anticoagulants oraux directs recommandés en première intention : quel rôle pour le biologiste ?

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Le docteur Olivier Feugeas, biologiste médical pour un groupement de laboratoires et au CHU de Strasbourg, est intervenu le 10 mars à l’occasion de la Journée du Syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM). Son message ? Désormais, les traitements anticoagulants directs (AOD) doivent être préférés aux AVK. Ce médecin, qui partage sa vie entre l’hémostase biologique et l’hémostase clinique, a décrypté le rôle du biologiste dans le suivi de ces patients sous AOD. Éclairage.

Par Steven DIAI, publié le 22 mars 2018

Les anticoagulants oraux directs recommandés en première intention : quel rôle pour le biologiste ?

C’est, depuis février 2018, la règle retenue par l’HAS et l’ANSM : il faut préférer les AOD aux anti-vitamine K (AVK) en première intention, pour traiter une thrombose veineuse profonde : dans la prise en charge de la fibrillation auriculaire comme pour celle de la maladie thrombo-embolique. Une préconisation qui satisfait le docteur Olivier Feugeas car pour lui, « il n’y a pas plus dangereux que les AVK ! » Il ne reste que deux indications pour lesquelles les AVK demeurent vraiment la référence : chez les personnes porteuses d’une valve cardiaque mécanique, et en cas d’un véritable syndrome des anti-phospholipides (avec triple positivité au niveau biologique).

« Ma philosophie, en consultation, c’est de ne plus laisser quelqu’un sous AVK car c’est une perte de chance pour le patient », insiste le docteur Feugeas. Même les patients âgés y ont intérêt : leur mortalité diminue avec les AOD par rapport aux AVK. Il faut certes veiller aux quelques contre-indications, dues à des interactions médicamenteuses. Mais celles-ci sont bien plus nombreuses avec les AVK. En France, les principaux AOD prescrits sont le Xarelto (rivaroxaban) et l’Eliquis (apixaban). Le Pradaxa est aussi de nouveau employé.

Quels examens biologiques effectuer ? « Dans le cadre des AOD et de tous les médicaments avec un risque hémorragique, il est indispensable d’utiliser le Cockcroft », souligne le docteur Feugeas. « Aujourd’hui, s’il ne sert plus à estimer la fonction rénale car il a été remplacé par d’autres formules, le Cockcroft est l’un des meilleurs marqueurs de risque hémorragique. » En outre, il est indispensable d’évaluer l’insuffisance rénale, car une adaptation de dose pourra être préconisée. Un risque trop important d’accumulation ou d’hémorragie indiqueront de ne pas employer le produit. Il faut donc proposer une surveillance régulière de la créatinine, surtout chez les patients âgés.

En cas d’insuffisance rénale, il faudra discuter avec le gériatre et le néphrologue de l’opportunité de prescrire des HBPM, certes également soi-disant contre-indiqués mais présentant l’avantage de disposer de dosages de plus en plus fiables. « Pour les AOD, les dosages sont fiables, mais ils ne reflètent pas forcément le risque hémorragique et le risque thrombotique chez le patient », précise alors Olivier Feugeas, avant de glisser : « C’est là, une grande différence entre la biologie et la médecine… »

Biologie et AOD

« Il ne faut surtout pas faire de TP, de TCA, de fibrinogène : la tentation est pourtant grande, car le médecin pense que si le patient saigne gravement, ces paramètres seront perturbés. Mais il ne faut pas prescrire ces tests de biologie usuelle car tous les tests chronométriques sont perturbés plus ou moins avec les AOD », assure Olivier Feugeas. Ainsi, il n’y a aucune corrélation entre une modification des tests standards chronométriques et un éventuel risque hémorragique ou thrombotique.

En revanche, il est possible de réaliser des tests immunologiques. « Le test le plus important est celui des D-Dimères », précise-t-il. Ces tests restent valables sous AOD : point intéressant, car même si les AOD restent des molécules très efficaces, il est toujours possible de rethromboser sous un traitement anticoagulant quel qu’il soit, ou d’avoir une suspicion clinique comme une embolie pulmonaire chez un patient sous AOD. Dans ces cas-là, le test des D-dimères est efficace car il n’est pas perturbé, tout comme les autres tests immunologiques.

Concernant les bilans de thrombophilie, toujours menés à distance d’un événement thromboembolique, il ne sert à rien de les réaliser sous AOD. L’avantage certain par rapport aux AVK, c’est que pour les AOD, 48 heures d’arrêt du traitement suffisent. Pour les AVK, 3 semaines d’arrêt sont nécessaires pour éviter la perturbation du bilan. Or, en cas de haut risque de thrombose, trois semaines d’arrêt sont une prise de risque. Il ne faut évidemment pas effectuer un bilan de thrombophilie dans les deux mois qui suivent une embolie pulmonaire car le patient est encore à haut risque… « Moi-même, je ne fais jamais de bilan de thrombophilie avant 6 mois pour les embolies pulmonaires, et avant 3 mois de traitement pour les autres thromboses », affirme le docteur Feugeas.

Quand faut-il doser ? Lorsqu’un patient doit être opéré et que la chirurgie est à risque, mais le problème reste de déterminer le seuil à partir duquel considérer que le patient n’a plus de molécule active circulante. Le plus simple est d’utiliser la pharmacocinétique, en connaissant l’heure à laquelle a été pris le produit, qui diminue de 50 % toutes les 12 heures. Il est alors possible d’arriver très vite à une estimation du risque hémorragique. Un seuil a été déterminé : quand il y a moins de 30 ng/mL d’un AOD circulant dans le sang, le risque hémorragique est pratiquement inexistant. Sous Pradaxa, si le TT est normal il est certain qu’il n’y a plus de Pradaxa circulant (mais en revanche un TT élevé ne signifie rien). Et si une intervention est à haut risque hémorragique, un anti Xa inférieur à 0,15 U/mL voire même 0,10 indique lui aussi qu’il y a assez peu de risque hémorragique.

Lorsqu’un patient saigne sous AOD, il faut savoir ce qu’il a pris, à quelle dose, à quelle heure. La biologie a sa place : la numération de formule, pour déterminer hémoglobine et plaquettes. Un dosage spécifique peut être fait, mais il est rarement pris compte. La biologie standard n’est pas indiquée. Si le patient saigne, la réaction médicale consiste à le perfuser avec du PST et des concentrés de globules rouges. Si le patient ne sort pas de l’hémorragie, le PPSB à petite dose fonctionne bien. Enfin, il existe désormais un antidote disponible pour le Pradaxa. Quant à l’antidote pour le Xarelto et l’Eliquis, il arrivera courant 2018.

Source : Magazine Biologiste infos n°93

Agnès Bourahla-Farine