Le SBJM s’oppose au rachat de laboratoires privés par Cerba

 


Le SJBM, Syndicat national des Jeunes Biologistes Médicaux, a envoyé, la semaine dernière, une lettre d'alerte à destination de la direction générale de l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Normandie

Par Steven DIAI, publié le 09 février 2017

Le SBJM s’oppose au rachat de laboratoires privés par Cerba

concernant un rachat de laboratoires en cours par CERBA.

 

Pour l'instance représentative, ces opérations sont réalisées en dehors de la légalité et doivent être stoppées. Elle demande de plus le soutien du ministère de la Santé tout en appelant les ARS à la plus extrême vigilance concernant les fusions avec des filiales de laboratoires détenus à plus de 50 % par des non-biologistes exerçants (Cerba, Biomnis, Labco, Unilabs). Le SJBM affirme qu'il restera vigilant afin que « les lois et l'esprit des lois insufflé par les législateurs » soient tous deux respectés, notamment dans le contexte actuel de financiarisation importante de la profession. Il ajoute que pour lui cette financiarisation est délétère, à la fois, en ce qui concerne l'indépendance des professionnels du secteur, socle du code de déontologie de la profession, mais aussi pour la prise en soins des patients et pour l'État.

Il précise enfin que « cette financiarisation déstructure notre profession médicale, hypothèque l'avenir des jeunes biologistes médicaux et provoque un effet direct de siphon de la sécurité sociale (cotisations versées par la population) vers des fonds d'investissement ».

Ci-dessous, le courrier adressé à la directrice de l'ARS de Normandie
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Objet : Lettre recommandée avec accusé – réception à destination de Madame GARDEL, Directrice Générale de l'ARS Normandie

Opération de fusion de deux sociétés d'exercice libéral de biologistes médicaux en voie d'être finalisée et de vous être soumise.
 
En considération de l'illégalité de cette opération au regard des dispositions combinées de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 et de l'article L. 6223-8 du code de la santé publique : demande tendant à ce que vous refusiez d'accéder à une demande de fusion de SEL de laboratoires de biologie médicale.

Madame la Directrice,
 
 
En tant que Président du Syndicat national des Jeunes Biologistes Médicaux – SJBM – j'attire votre attention sur l'illégalité de différentes opérations de fusion par voie d'acquisitions de sociétés de laboratoire de biologie médicale.
 
Nous avons observé des irrégularités lors du rachat de la SEL CBM (Centre de Biologie Médicale) par le laboratoire de biologie médicale ROSEBE et la société CERBA et nous avons été alertés sur un projet de fusion acquisition de la SEL LEXOBIO par la SEL CBM ou une autre filiale de la société CERBA.
 
Cette opération serait effectuée en totale illégalité puisque ces structures sont soumises aux dispositions de l'article 10 de la loi n°2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicaleet de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.
 
Par l'article 10 de la loi du 30 mai 2013, le législateur a créé le nouvel article L. 6223-8 du code de la santé publique ayant pour objet de réaffirmer le principe de la détention obligatoire de la majorité du capital et des droits de vote par les biologistes exerçant au sein d'une SEL de biologistes médicaux, et qui dispose :
 
 « Article 10 :
 
I. ― Plus de la moitié du capital social et des droits de vote d'une société d'exercice libéral de biologistes médicaux doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire des sociétés mentionnées au 4° de l'article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, par des biologistes médicaux en exercice au sein de la société.
II. ― Le chapitre III du titre II du livre II de la sixième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 6223-8 ainsi rédigé :
 « Art. L. 6223-8.-I. ― Le premier alinéa de l'article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales n'est pas applicable aux sociétés d'exercice libéral de biologistes médicaux.
 « II. ― Les sociétés d'exercice libéral de biologistes médicaux créées antérieurement à la date de promulgation de la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale et qui, à cette date, ne respectent pas le I du présent article ou le I de l'article 10 de la même loi conservent la faculté de bénéficier de la dérogation prévue à l'article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée.
 « La cession de leurs parts sociales ou actions se fait prioritairement au bénéfice des biologistes exerçant dans ces sociétés. Si ces derniers se trouvent dans l'incapacité d'acquérir les parts sociales ou les actions qui leur sont proposées, la cession peut avoir lieu au bénéfice de toute personne physique ou morale exerçant la profession de biologiste médical ou de toute société de participations financières de profession libérale de biologistes médicaux. Sous réserve du respect des seuils prévus en application de l'article 6 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée, cette cession peut également avoir lieu au bénéfice d'une ou plusieurs personnes ne répondant pas aux conditions du premier alinéa ou des 1° et 5° de l'article 5 de la même loi.
(…) »
  
Par ces dispositions, le législateur a :
 
–      interdit aux SEL de biologistes médicaux qui, à la date de promulgation de la loi, n'auraient pas encore été créées ou n'auraient pas fait usage de la dérogation de l'article 5-1, de recourir à celle-ci à l'avenir (les « SEL non dérogatoires » ;
 
–      ainsi que :
 
o   permis aux SEL existantes ayant, antérieurement à la loi de 2013, fait usage de la dérogation (1eral. de l'art. 5-1) aux règles de détention du capital social et des droits de vote au sein des SEL alors fixée par l'article 5 de la loi du 31 décembre 1990, de continuer à bénéficier de cette dérogation (ces sociétés étant communément appelées « SEL dérogatoires»)…
 
o   … tout en organisant, dans le 2èmealinéa du II de l'article L. 6223-8, dans l'hypothèse d'une cession de parts d'une SEL dérogatoire, un droit de priorité au rachat desdites parts au profit des biologistes médicaux exerçant au sein de la SEL, les opérations de cession de parts devant aller dans le sens d'un retour vers les règles de détention majoritaire du capital social et des droits de vote par les biologistes exerçants.
 
A la différence de ce qui est intervenu pour d'autres professions, telles les professions juridiques, ces règles, désormais inscrites dans les articles 5 et 6 de la loi du 31 décembre 1990 modifiée, n'ont pas été remises en cause, et ont même été réaffirmées, à l'occasion de l'adoption de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « Loi Macron».
 
En outre, une récente décision du 15 janvier 2015 (Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 2015, pourvoi 13-13.565, publiée au bulletin), la Cour de Cassation a jugé que les dispositions de la loi du 31 décembre 1990 étaient d'ordre public économique. Cette qualité s'attache par voie de conséquence également à l'article L. 6223-8 du CSP, intrinsèquement lié à la loi de 1990.
 
 De ce régime, modifié il y a trois ans en vue (i) de garantir aux biologistes exerçants majoritaires en capital et en droits de vote la conservation de l'entier contrôle de leur structure ainsi que (ii) de favoriser le retour à un tel contrôle au profit de ceux qui, antérieurement à la loi de 2013, l'auraient perdu, il résulte que, désormais, seules certaines fusions de SEL de biologistes médicaux sont possibles, les autres étant interdites.
 
D'un côté, les dispositions en vigueur permettent à une société majoritairement détenue par des biologistes exerçants de fusionner avec une autre SEL soumise à un même contrôle (fusion entre deux SEL non dérogatoires) ; de même, sous réserve que le droit de priorité reconnu aux biologistes exerçants susvisé soit respecté, elles autorisent la fusion de deux SEL dérogatoires.
 
En effet, dans ces deux cas de figure, les règles et objectifs fixés par les dispositions en vigueur sont pleinement observés, aucune atteinte aux droits des biologistes exerçants n'étant portée par l'opération de fusion : la situation des biologistes médicaux, en termes de détention du capital – majoritaire ou non – ainsi que de droits de vote, demeure, dans son principe, inchangée.
 
De l'autre, la fusion d'une SEL dérogatoire (en général l'absorbante) et d'une SEL non dérogatoire (la SEL – cible), qui aboutit à faire perdre aux biologistes de la SEL non dérogatoire la détention de la majorité du capital, viole le régime législatif exposé plus haut, et est illicite.
 
Dans ces conditions, lorsqu'une opération de fusion entre une SEL dérogatoire et une SEL non dérogatoire est soumise à une ARS, cette dernière ne doit accéder à la demande.
 
Ce refus est d'autant plus impératif que ces fusions ne sont, dans la plupart des cas, que le simple habillage d'une vente de leur laboratoire par les actionnaires de la SEL cible au profit de l'actionnaire majoritaire de la SEL absorbante, c'est-à-dire contrôlée par des investisseurs financiers tiers à la profession. Une vente qui, si elle était réalisée de façon transparente, serait automatiquement bloquée par l'ARS et le greffe du tribunal du commerce.
 
Ainsi, de nombreuses opérations de fusion entre sociétés dérogatoires et non dérogatoires ces dernières années se sont traduites par la revente presque immédiate des parts de la SEL absorbante attribuées aux associés – exerçants de la cible par ces derniers, au profit de structures associées de la société absorbante et contrôlées par des financiers (exemple SEL CBM et ROSEBE).
 
Ce faisant, sous couvert d'une prétendue fusion, les acteurs de cette opération ne font que procéder, de façon déguisée, à la vente pure et simple des droits détenus par les associés de la société-cible sur leur laboratoire. La fusion ne sert, dès lors, que d'étape intermédiaire, et fictive, à la cession de la totalité ou quasi-totalité du capital de l'absorbée à une structure financière contrôlant l'absorbante. L'opération de fusion est donc constitutive d'une fraude à la loi.
 
 
En l'espèce, l'opération qui vous sera probablement soumise sous peu consiste en ce qu'une société (CBM ou autre filiale de CERBA) absorbe la société-cible LEXOBIO.
 
Certaines filiales de CERBA sont des SEL de biologistes médicaux dont la majorité du capital social est détenue et contrôlée par des biologistes n'exerçant pas en son sein : elles constituent des sociétés dérogatoires relevant du II de l'article L. 6223-8 précité.
 
En revanche, la société LEXOBIO est une SEL de biologistes médicaux dont la majorité du capital social et des droits de vote est détenue par des biologistes y exerçant : elle relève du I de l'article L. 6223-8, et les règles d'ordre public économique précitées s'opposent à ce que les exerçants, y compris s'ils y consentent, se voient privés à l'avenir du contrôle de la SEL exploitant leur laboratoire de biologie médicale (cf. supra).
 
Cette opération de fusion ne peut donc donner lieu à un agrément de votre part.
 
Au nom du SJBM, je me permets donc devous alerter par anticipation sur l'illicéité absolue (Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 2015, pourvoi 13-13.565, publiée au bulletin) de l'opération au titre de laquelle vous serez très prochainement saisie, afin que vous ne donniez pas suite à la demande de fusion.
 
Vous remerciant des suites utiles que vous ne manquerez sans doute pas de donner à la présente notification,
 
Je vous prie de croire, Madame la Directrice, en l'assurance de ma très haute considération.
 
Dr. Lionel Barrand
Président du SJBM
Syndicat national des jeunes biologistes médicaux
Siège social :
Laboratoire Pays de Sierentz
2 rue des Celtes, 68510 SIERENTZ

Copie à :
Pr. VALLET, Directeur Général de la DGS
Mme. Anne-Marie ARMANTERAS DE SAXCE, Directrice Générale de la DGOS
Direction générale – Agences Régionales de Santé
Dr. Jean CANARELLI, Commission biologie médicale, Conseil National de l'Ordre des Médecins
Dr. Isabelle ADENOT, Présidente du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens
Dr. Philippe PIET, Président de la section G du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens
Dr. François BLANCHECOTTE, Président du Syndicat des Biologistes
Dr. Claude COHEN, Président du Syndicat National des Médecins Biologistes
Dr. Jean PHILIPP, Président du Syndicat des Laboratoires de Biologie Clinique
Maître Vianney PETETIN, avocat au barreau de Paris

        La rédaction